Hyères les palmiers
De toutes les couleurs, de toutes les folies
Bien sur Hyères a été un site préhistorique, un village antique, une place forte massaliote, un port romain, un bourg moyenâgeux… De tout cela, il y a des traces, des vestiges, des ruines, des monuments ici et là qui rappellent que l’histoire de la cité d’Olbia remonte bien avant les Césars traceurs de voies et continue bien après les Louis, bâtisseurs de forts. Mais Hyères est surtout une ville du XIXe siècle.
Ce qui frappe dès que l’autocar du port passe la gare et le rond-point de la via Olbia, c’est cet air d’opérette d’Offenbach.
Balayés les quelque vingt-cinq siècles de civilisations qui se sont succédées sur la presqu’île, il ne reste que l’omniprésence désuète du second Empire, de la IIIe République, d’une fin de XIXe siècle très chic.
Remontez l’avenue Gambetta. Si les palmiers vous ont caché les immeubles bourgeois, vous ne pourrez pas éviter, en haut, le monument à la gloire du commerce, les Dames de France, réplique locale des Galeries Lafayette. Zappez les enseignes du Mac Do pour détailler cette grande meringue vitrée construite en 1884 par Pierre Chapoulard. Signe de la prospérité cosmopolite de l’époque, un rayon de ce grand magasin proposait « des installations complètes de villas » et « des interprètes dans toutes les langues ».
Ces réclames en disent plus long que tous les discours d’historiens : sous Napoléon III, Hyères construisait à tour de bras des villas somptueuses et les people du monde entier y accouraient.
Mais qu’est-ce qui a bien pu faire la fortune de cette bourgade qui stagnait avec ses 6.500 habitants, sans port de commerce, sans industrie, sans chantiers navals, sans Arsenal, sans rien de ce qui remplissait les caisses de communes plus grosses comme Toulon ou Marseille, plus petites comme La Seyne ?
C’est justement qu’il n’y avait là rien d’industriel et que les industrieux qui faisaient fortune ailleurs aimaient à disposer de lieux tranquilles, beaux et au climat aimable où ils pouvaient se retrouver entre eux, dépenser sans compter, se faire du bien. L’impératrice Eugénie avait lancé la vogue des bains de mer, le thermalisme devenait, avec les casinos, une activité sociale. Hyères fut donc une ville climatique desservie par la gare du PLM, reliée au centre-ville par des artères droites bordées de palmiers, préférés aux platanes provençaux qui abritent les boulistes. Ici, on ne joue pas à la pétanque comme à La Ciotat, mais au golf, comme en Angleterre, on se montre sur les larges trottoirs, on se salue sur les esplanades.
Les Anglais, parlons-en. Après avoir vainement tenté à au moins trois reprises d’investir Toulon en établissant des bases navales dans la baie d’Hyères, ils sont revenus en masse : en 1860, ils représentent 25% de la population. En 1877 arrive le capitaine Corbett, héros de la marine anglaise contre Napoléon 1er, qui draine avec lui la bonne société britannique et même la reine Victoria, crée trois grands hôtels : Ermitage, Albion et Costebelle. Une église anglicane de style néogothique revu par Walt Disney est consacrée en 1884 par l’évêque de Gibraltar.
Fleurissent les architectures les plus folles. Pierre Chapoulard, l’auteur des Dames de France, se fait construire une villa patch-work de tous les styles, indescriptible, dont les morceaux auraient autant leur place à Strasbourg qu’à Vienne, à Nice où à Montparnasse…
Alexis Godillot, le baron Haussmann local, trace des rues, construit des édifices publics, crée de nouveaux quartiers. Les riches, selon leur plaisir et leurs fantasmes, se font bâtir des villas mauresques, grecques, romaines, andalouses... De véritables châteaux aussi, comme San Salvadour, incroyable chef d’œuvre de l’art pompier. L’école des Beaux-Arts de Paris lance des concours pour concevoir des palaces de cent chambres avec des salles à manger de plus de deux cents couverts, des salons en enfilade, un jardin d’hiver…
La saison bat son plein d’octobre à mai. Ensuite, il fait trop chaud. On ne s’empile pas encore sur les plages, on ne cherche pas à avoir la peau comme un cigare de Cuba, on cherche à passer un hiver tempéré en bonne compagnie.
Et puis, un jour, le vent tourne. Les Anglais s’en vont pour Cannes ou Nice, où il y a moins de mistral, peut-être, et où il y a la mer, un port pour les yachts. Hyères perd de sa superbe mais garde ses maisons folles, ses palmiers, ses orangers, ses couleurs.
Arrivés au port, sautez dans le bus pour une journée dans cette ville de charme.
- Christophe Naigeon






